Par Jean Wesley Pierre
Le 9 octobre 2025, dans le calme protocolaire du Kantei, siège du gouvernement japonais, s’est tenue une rencontre, hautement symbolique entre le Premier ministre du Japon, Shigeru Ishiba, et le Président du Conseil de Transition (CPT) d’Haïti, Laurent Saint-Cyr, en visite officielle à Tokyo dans le cadre de la Journée nationale d’Haïti à l’Expo 2025 Osaka-Kansai.
Derrière la politesse diplomatique et la solennité des échanges, cette entrevue revêt une portée bien plus profonde : celle d’un dialogue entre deux nations que tout sépare géographiquement, mais que rapprochent la résilience, la dignité et la quête d’équilibre dans un monde secoué par les crises.
Accueillant pour la première fois un dirigeant haïtien dans le contexte de l’Expo universelle, le Premier ministre Ishiba a salué la présence du Président Saint-Cyr comme une « opportunité de mettre en avant la culture et la richesse d’Haïti auprès du monde ». Au-delà du protocole, ce geste diplomatique témoigne d’un respect sincère pour un pays souvent marginalisé sur la scène internationale, mais dont le peuple, éprouvé et debout, continue de lutter pour sa souveraineté et sa stabilité.
Les discussions ont duré près de trente-cinq minutes. Elles ont porté sur la paix, la sécurité et la tenue d’élections libres en Haïti, trois conditions essentielles à la reconstruction institutionnelle du pays.
M. Ishiba a réaffirmé la conviction du Japon que « la stabilité d’Haïti est vitale pour la région de la Caraïbe et de l’Amérique latine ». Une reconnaissance rare, mais précieuse, de la place géostratégique d’Haïti dans un environnement régional souvent négligé.
Fidèle à sa tradition de coopération pragmatique, le Japon s’est positionné ces dernières décennies comme un partenaire silencieux mais constant d’Haïti.
Après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, Tokyo fut parmi les premiers bailleurs à apporter une aide humanitaire structurée et respectueuse des institutions locales.
Lors de cette rencontre, le Premier ministre Ishiba a rappelé cette continuité de soutien, soulignant le financement japonais à la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Il a également exprimé un intérêt pour le renforcement de l’armée d’Haïti, un signal fort dans un contexte où la question de la sécurité demeure la clé de voûte de tout redressement national.
Face au premier ministre japonais, Laurent Saint-Cyr a adopté le ton mesuré et ferme d’un dirigeant conscient de la fragilité de la transition, mais déterminé à défendre la souveraineté haïtienne. Le Président du CPT a réitéré l’engagement du gouvernement de transition à rétablir la sécurité nationale avec le soutien des partenaires internationaux, tout en organisant des élections libres et crédibles dans les meilleurs délais.
Dans un langage diplomatique empreint d’humilité, il a également remercié le Japon pour « son hospitalité, son respect et sa solidarité exemplaire envers Haïti », soulignant l’importance de « la coopération culturelle et technique comme leviers de redressement durable ».
La veille, le 8 octobre, le Président Saint-Cyr avait été reçu en audience par Son Altesse l’Empereur Naruhito au Palais impérial de Tokyo.
Ce moment, empreint de solennité et de respect mutuel, a symbolisé le renouvellement des liens d’amitié entre les deux peuples. Peu de dirigeants haïtiens ont eu ce privilège diplomatique, preuve que le Japon considère Haïti non comme un simple récipiendaire d’aide, mais comme un partenaire digne d’estime et de dialogue.
Au-delà des mots et des gestes, cette visite officielle s’inscrit dans une tentative de repositionnement d’Haïti sur la scène internationale, à travers une diplomatie de dignité et de coopération.
À une époque où l’image d’Haïti se résume trop souvent à la crise et au chaos, Laurent Saint-Cyr a choisi d’incarner une parole d’ouverture, de responsabilité et d’espérance des valeurs que le Japon, marqué par ses propres épreuves historiques, comprend mieux que quiconque.
Dans la tradition japonaise, le mot kizuna signifie « lien », « attachement », « solidarité ».
C’est peut-être ce lien, fragile mais sincère, que cette rencontre aura contribué à tisser entre Port-au-Prince et Tokyo : un fil de confiance entre deux nations que tout semble opposer, mais qui partagent un même idéal celui de la paix, du respect et de la reconstruction durable.
En définitive, cette visite n’était pas qu’un échange protocolaire. Elle marque le retour d’Haïti dans le cercle des nations écoutées, non pas pour ce qu’elles endurent, mais pour ce qu’elles entreprennent.
Et dans ce dialogue discret entre un archipel d’Asie et une île caribéenne, c’est peut-être un nouvel horizon diplomatique qui s’esquisse celui d’une solidarité lucide, respectueuse, et profondément humaine.


