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Haïti : Les blindés américains ne suffiront pas, à eux seuls, à vaincre les gangs

L’annonce de la livraison d’une vingtaine de véhicules blindés par les États-Unis à Haïti a suscité un mélange d’espoir et de scepticisme. Si ce geste témoigne du soutien de Washington aux autorités haïtiennes dans leur lutte contre la criminalité, il ne saurait, à lui seul, inverser la tendance d’une situation sécuritaire devenue hors de contrôle. Car, dans le contexte actuel, les blindés ne sont qu’un outil parmi d’autres — et non une solution miracle — face à des gangs qui se sont transformés en véritables armées urbaines.

Les blindés : un soutien symbolique mais insuffisant

Ces nouveaux véhicules permettront sans doute à la Police nationale d’Haïti (PNH) d’effectuer des opérations plus sécurisées dans certaines zones, notamment pour le transport des unités d’élite et la protection des convois stratégiques. Cependant, les précédents envois de blindés, bien qu’utiles, n’ont pas permis de rétablir le contrôle de l’État sur les zones assiégées par les gangs. Ces derniers continuent de terroriser la population, de contrôler des axes stratégiques et d’imposer leur loi jusque dans les périphéries de la capitale.

La réalité, c’est qu’Haïti fait face à un problème de rapport de force. Les blindés ne suffisent pas sans un renforcement profond et durable des capacités humaines et logistiques des forces nationales.

Renforcer les institutions de sécurité : une urgence nationale

La PNH, aujourd’hui fragilisée par des années de sous-effectif, de démotivation et de manque de moyens, ne peut affronter durablement des bandes lourdement armées et bien financées. Il faut un recrutement massif de nouveaux policiers, accompagné d’une formation adaptée aux nouvelles formes de criminalité, notamment urbaine et paramilitaire.

De même, les Forces armées d’Haïti doivent jouer un rôle plus actif dans la sécurisation du territoire. Leur mission ne doit pas se limiter à la simple présence symbolique : elles doivent être outillées, entraînées et dotées de matériels modernes, y compris d’équipements létaux capables d’offrir aux forces de sécurité un réel avantage tactique sur les groupes armés.

Sans une restructuration coordonnée de la PNH et des FAD’H, les blindés risquent de n’être que des trophées d’image dans une guerre asymétrique où la détermination et l’organisation des gangs dépassent largement les moyens de l’État.

Le contrôle des frontières et des douanes : couper la source du mal

Aucune stratégie sécuritaire ne peut réussir si les gangs continuent d’être alimentés en armes et munitions par des circuits illicites. Le contrôle rigoureux des douanes, des ports et des frontières terrestres doit devenir une priorité absolue.
Tant que des cargaisons d’armes continueront d’entrer librement sur le territoire, les gangs se renforceront, quelle que soit la quantité d’équipements reçus par la police. Cela suppose une coopération régionale accrue, notamment avec la République dominicaine et les partenaires internationaux, pour endiguer le trafic d’armes et de munitions.

Des opérations coordonnées et durables : reprendre et tenir le terrain

Au-delà des dons de matériels, Haïti doit envisager la mise en œuvre de véritables opérations de reconquête. Cela implique une mobilisation conjointe des forces policières et militaires, appuyées par les blindés, mais surtout capables d’effectuer des pénétrations au sol dans les fiefs des gangs, d’y établir des positions permanentes et d’y rétablir l’autorité de l’État.

Les interventions ponctuelles, sans maintien du contrôle, ont montré leurs limites : chaque retrait des forces laisse place à une réoccupation immédiate des zones par les criminels. L’objectif ne doit donc pas être seulement de neutraliser, mais de stabiliser.

L’urgence d’une stratégie globale

Les blindés américains constituent une aide bienvenue, mais ils ne remplacent pas une vision de sécurité nationale. Haïti doit investir dans ses hommes, dans ses institutions, dans la logistique et dans la coordination. Sans cela, chaque nouveau blindé deviendra un symbole de plus d’une lutte inachevée.

Ce n’est qu’en combinant puissance matérielle, discipline institutionnelle et stratégie opérationnelle cohérente que le pays pourra espérer reprendre le contrôle de son territoire et offrir à ses citoyens le droit fondamental à la sécurité.

Gesly Sinvilier

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