Paris, le 6 octobre 2025 — La Ve République traverse l’un de ses épisodes les plus fragiles depuis des décennies. En moins de vingt-quatre heures, la France a vu son Premier ministre, Sébastien Lecornu, démissionner après à peine quatorze heures; un record historique qui en dit long sur l’état d’épuisement du système politique.
Confronté à un blocage institutionnel sans précédent, Emmanuel Macron s’est dit prêt à « prendre ses responsabilités » si le dernier round de négociations de son désormais ex-chef de gouvernement venait à échouer. Un avertissement aussi solennel qu’ambigu, dans un contexte où le chef de l’État se trouve encerclé par la défiance, l’usure du pouvoir et l’absence de majorité stable.
Un Premier ministre éphémère et une majorité introuvable
Sébastien Lecornu, nommé il y a à peine quelques jours, n’aura pas tenu une journée entière à la tête de Matignon. Son gouvernement, dévoilé la veille, aura été emporté par une série de fractures internes avant même d’entrer véritablement en fonction. Le désaveu est cinglant : Bruno Retailleau, chef des Républicains, a publiquement rejeté la composition d’un exécutif jugé trop « macroniste », tandis que Bruno Le Maire, nommé ministre des Armées dans un geste censé symboliser l’union nationale, a préféré se retirer dans la journée pour ne pas envenimer la crise.
Face à ce chaos, Lecornu a invoqué la loyauté républicaine. « Les conditions n’étaient plus remplies pour rester chef du gouvernement », a-t-il avoué, avant de lancer un appel à la responsabilité : « Il faut toujours préférer son pays à son parti. » Une phrase lourde de sens, adressée autant à la droite divisée qu’à l’Élysée lui-même, où la gestion verticale du pouvoir a fini par étouffer toute possibilité de compromis durable.
Macron face à l’impasse : entre responsabilité et isolement
En confiant à Sébastien Lecornu quarante-huit heures supplémentaires pour tenter une ultime médiation avec les forces politiques, Emmanuel Macron cherche visiblement à gagner du temps. Mais à quoi bon ? Le président, affaibli par une succession de crises sociales, politiques, diplomatiques, peine à incarner le centre de gravité de la République.
« Il y a plein de possibilités dans le cadre républicain », a confié un membre de son entourage, sans exclure aucune hypothèse, sinon celle d’une démission présidentielle. Pourtant, l’Élysée le répète : Emmanuel Macron entend aller « jusqu’au bout de son mandat », c’est-à-dire jusqu’en 2027.
En réalité, le chef de l’État se retrouve face à une équation impossible : sans majorité à l’Assemblée nationale, sans coalition durable, et sans figure crédible capable de stabiliser le pays, il ne dispose plus que d’un champ de manœuvre étroit. Dissoudre l’Assemblée ? Trop risqué, dans un climat où l’extrême droite se nourrit du désenchantement. Former un gouvernement de techniciens ? Trop fragile politiquement. Gouverner par ordonnance ou par décret ? Constitutionnellement possible, mais politiquement suicidaire.
Le Medef et les milieux économiques tirent la sonnette d’alarme
La crise politique française inquiète désormais le monde économique. Le Medef, le patronat français, par la voix de son président, a annoncé le report du grand rassemblement prévu le 13 octobre à l’Accor Arena, invoquant la nécessité de « participer à l’apaisement du pays ». Une décision inédite pour une organisation rarement encline à suspendre ses activités.
Dans son communiqué, le Medef met en garde contre « une nouvelle phase qui risque de nous conduire à une crise institutionnelle », estimant que la France est aujourd’hui « paralysée politiquement et économiquement ». Ce constat est partagé par nombre de dirigeants d’entreprise, pour qui l’incertitude politique aggrave une situation économique déjà tendue, entre inflation persistante, dette publique record et exaspération fiscale.
Une République au ralenti
Pendant ce temps, les « affaires courantes » sont assurées tant bien que mal par les dix-huit ministres du gouvernement Lecornu, dont l’exercice aura duré à peine quatorze heures. Paradoxalement, ce sont eux et non un nouveau cabinet qui se retrouvent chargés d’assurer la continuité administrative. À Bercy, Roland Lescure et Amélie de Montchalin supervisent les dossiers économiques, tandis qu’aux Sports, Marina Ferrari assure la gestion transitoire malgré une passation de pouvoir avortée.
Ce flou administratif n’est pas seulement anecdotique : il symbolise l’état de flottement d’un exécutif qui ne gouverne plus, mais administre. L’État n’est plus moteur ; il est en gestion d’attente, suspendu à des tractations politiques qui paraissent vouées à l’échec.
Vers un tournant historique ?
À ce stade, tout semble indiquer qu’Emmanuel Macron joue sa dernière carte. S’il échoue à rétablir un minimum de stabilité, la perspective d’une dissolution de l’Assemblée nationale voire d’une crise institutionnelle ouverte n’est plus un tabou. Ses soutiens espèrent encore un sursaut républicain ; ses adversaires, eux, voient dans ce naufrage l’acte final d’un pouvoir qui aura confondu verticalité et isolement.
Une chose est certaine : la France vit un moment charnière. Entre lassitude populaire, fracture partisane et épuisement du modèle présidentiel, le pays semble s’approcher d’un point de rupture. Si le chef de l’État ne parvient pas à restaurer un horizon de confiance, la Ve République pourrait bien entrer dans une ère d’instabilité chronique un scénario redouté depuis longtemps, qui semble désormais s’écrire sous nos yeux.
PWJ


