Par Pierre Josué Agénor Cadet
Une Constitution, c’est la charpente d’un pays. Elle définit les règles du jeu politique, organise les pouvoirs, protège les droits des citoyens et consacre les valeurs fondamentales de la nation. C’est le texte qui dit qui nous sommes, comment nous vivons ensemble et comment nous souhaitons être gouvernés.
Dans l’histoire moderne, les Constitutions apparaissent comme des jalons majeurs. Elles marquent le passage de l’arbitraire à l’État de droit, du règne absolu à la volonté des peuples. La première d’entre elles est celle des États-Unis d’Amérique, adoptée le 17 septembre 1787 à Philadelphie, qui instaurait une République fédérale et la séparation des pouvoirs.
En Europe, la dynamique ne tarde pas à suivre. Le 3 mai 1791, la Pologne adopte sa Constitution, l’une des plus progressistes de son temps, qui limitait les privilèges de la noblesse et introduisait une monarchie constitutionnelle. Quelques mois plus tard, le 3 septembre 1791, la France révolutionnaire promulgue sa première Constitution, abolissant les privilèges de l’Ancien Régime et instaurant l’égalité civile.
Puis vient le tour d’Haïti. Dès le 9 mai 1801, une Constitution est rédigée à Saint-Domingue, approuvée par Toussaint Louverture le 3 juillet et proclamée le 8 juillet 1802, abolissant l’esclavage et affirmant l’autonomie de Saint-Domingue. Mais c’est le 20 mai 1805, sous l’impulsion de l’Empereur Jacques Ier, que la jeune nation indépendante adopte officiellement sa première Constitution. Ce texte fait d’Haïti le quatrième pays au monde à se doter d’une Constitution moderne, juste après les États-Unis, la Pologne et la France.
Cette Constitution haïtienne portait un message fort : l’esclavage y est définitivement aboli, l’égalité entre citoyens proclamée, le droit de propriété aux étrangers interdit, la liberté des cultes tolérée et la souveraineté nationale défendue avec vigueur. Elle affirmait également que tous les Haïtiens, quelle que soit leur couleur de peau, étaient considérés comme « noirs », tournant ainsi la page des hiérarchies raciales coloniales.
En se dotant d’une telle charte, Haïti ne s’est pas seulement affirmée comme la première République noire indépendante du monde. Elle a également marqué son entrée dans l’histoire universelle en tant que pionnière du constitutionnalisme moderne.
Aujourd’hui encore, se souvenir que notre pays a connu, de 1804 à ce jour, vingt-deux Constitutions (1805, 1806, 1807, 1811, 1816, 1843, 1846, 1849, 1867, 1874, 1879, 1888, 1889, 1918, 1932, 1935, 1946, 1950, 1957, 1964, 1983 et 1987) et qu’il fut parmi les pionniers de la modernité politique mondiale rappelle une évidence : l’idéal de liberté et d’égalité, né sur cette terre, fait partie du patrimoine universel.
Mais cette profusion de Constitutions, dans l’histoire des nations, pose une question cruciale : pourquoi, dans la République d’Haïti, la charte fondamentale change-t-elle si souvent ? Est-ce le reflet d’une quête ininterrompue de stabilité et de justice, ou le symptôme des défis persistants qui continuent de secouer notre gouvernance ? Autant de questions qui interpellent le citoyen et qui méritent d’être creusées en profondeur.
Pierre Josué Agénor Cadet


