Dans le cadre de la lutte contre la corruption, comme une goutte dans un océan, le gouvernement du dictateur Jean-Claude Duvalier réalisa, en août 1975, un grand procès contre certains grands commis corrompus, qui allait marquer l’histoire judiciaire et politique du pays. Il s’agit du fameux procès des Timbres.
C’est le second et, jusqu’à date, le dernier procès en ce sens dans l’histoire d’Haïti. Le premier eut lieu sous l’administration du président Nord Alexis. A la grande différence, celui de dernier était engagé contre les anciens fonctionnaires du gouvernement de Tirésias Simon Sam et non contre ses collaborateurs qui pataugeaient dans la corruption. J. C. Duvalier, lui, eut le courage de faire arrêter et juger ses propres collaborateurs impliqués dans l’affaire des Timbres.
Cinquante ans plus tard, il reste un symbole de la lutte (parfois inachevée) contre la corruption au sein de l’administration publique haitienne. L’affaire débute par une commande officielle de timbres-poste reproduisant les aquarelles du naturaliste Jean-Jacques Audubon. Le marché, confié à une firme new-yorkaise, aurait été frauduleusement gonflé, provoquant un scandale financier et fiscal impliquant plusieurs hauts responsables.
Le gouvernement, sous pression, décide de traduire les suspects en justice. Parmi les inculpés figuraient des personnalités proches du pouvoir comme le secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie, le Dr Serge Fourcand, Frantz Leroy, Eugène et Pierre-Richard Maximilien, ainsi que Fritz Denis. Dès l’ouverture du procès, du 26 août au 8 septembre 1975, l’affaire fit grand bruit, attirant l’attention sur le commissaire du gouvernement Rodrigue Casimir et sur plusieurs ténors du barreau qui s’illustrèrent brillamment : Théodore Achille et Gérard Gourgue, entre autres.
Au terme des audiences, trois des inculpés : le Dr Fourcand, Fritz Denis et Pierre-Richard Maximilien furent relaxés pour absence de preuves. Les autres, condamnés à diverses peines, bénéficièrent néanmoins d’une grâce moins d’un an plus tard.
Un héritage contrasté
Le procès des Timbres fut présenté à l’époque comme un tournant , un État décidé à combattre la corruption et à rappeler que nul n’était intouchable. Pourtant, la clémence finale accordée par le pouvoir nourrit les soupçons d’un procès avant tout politique, destiné à donner des gages de fermeté sans rompre réellement avec le système d’impunité.
Cinquante ans après, ce procès continue d’interroger. Pour les uns, il incarne une rareté historique : un moment où des dignitaires furent publiquement mis en accusation. Pour d’autres, il illustre les limites structurelles de la justice haïtienne, incapable d’aller au bout de ses propres verdicts.
En 2025, alors que la corruption demeure l’un des plus grands défis du pays, le souvenir du procès des Timbres revient comme une leçon incomplète ,un rappel que la justice ne doit pas être un instrument de circonstance, mais le fondement d’un véritable État de droit.
Pierre Josué Agénor Cadet


