PORT-AU-PRINCE.— Les Madan Sara, ces commerçantes itinérantes qui jouent un rôle central dans l’économie informelle haïtienne, sont aujourd’hui fragilisées par une situation alarmante: une grave crise économique, une insécurité généralisée et des routes nationales bloquées menacent de les étouffer.
Leur Poids dans l’économie informelle font d’elles un pilier dans ce secteur. Environ 100 000 femmes exercent à temps plein ou partiel le rôle de Madan Sara dans le pays. Le secteur informel, dominé par cette catégorie, représente entre 65% et 70% de l’économie haïtienne. Selon une enquête de 2024, ce secteur a perdu jusqu’à 30% de ses revenus au cours des cinq dernières années.
Revenu hebdomadaire menacé
La Banque de la République d’Haïti (BRH), dans une étude de septembre 2024, révèle que 36% des Madan Sara gagnent moins de 50 000 gourdes (- 400 $ US) par semaine, tandis que seulement 8% dépassent 750 000 gourdes (- 5 800 $ US).
La décapitalisation est à la fois massive et spectaculaire. En 2024, plus de 13 000 Madan Sara ont été directement affectées par l’insécurité, beaucoup ont perdu leur capital ou subi des violences. Et les chiffres ont doublé en 2025 avec la prise d’autres territoires par les bandits.
Le Rassemblement National des Madan Sara évoque près de 11 000 commerçantes décapitalisées, en raison notamment des barrages imposés par des gangs sur les routes nationales. Par ailleurs, entre 2018 et 2023, plus de 60 marchés ont été incendiés ou pillés, entraînant des pertes estimées à plusieurs millions de dollars.
Infrastructures routières et blocage des routes: conséquences concrètes
Avant la crise, les Madan Sara réalisaient jusqu’à cinq déplacements hebdomadaires pour s’approvisionner. Aujourd’hui, 80% ne font plus que trois trajets maximum par semaine, en raison de barrages, violences ou extorsions sur les routes nationales. Dans des zones comme Martissant, Carrefour, Marché piste de l’aviation, ou Pétion-Ville, 72% ont dû déplacer de leurs points de vente et 58% ont changé de fournisseurs.
Impacts négatifs sur l’offre et les pertes post-récolte
Le Copenhagen Consensus indique que l’absence d’infrastructures adéquates engendre des pertes post-récolte estimées à 50–60% de la production, aggravée par l’état dégradé des routes . Ces ruptures dans la chaîne d’approvisionnement se traduisent par une flambée des prix en ville et des invendus dans les zones rurales.
Quel soutien de l’État?
Les financements restent limités.
Le gouvernement a signé un protocole avec le Rasanbleman des Madan Sara (RAMSA) en décembre 2024, allouant une subvention de 8 millions de gourdes. Un autre accord a été signé le 3 septembre 2024 avec la Fédération Haïtienne des Petites Moyennes Entreprises. Jusque-là rien n’a changé, la plupart de ces fonds ne sont pas débloqués.
Initiatives de structuration et de microcrédit existantes
L’ONG Fonkoze a mis en place un programme visant les Madan Sara, avec un accès au microcrédit à taux souples, des formations à la gestion financière et un accompagnement en protection sociale, a rapporté le journal The Haitian Times. Jusqu’à aujourd’hui, plus de 5 000 Madan Sara ont bénéficié de prêts, avec un taux de remboursement supérieur à 90% et une amélioration des marges de 30 à 50%.
Au-delà de ce soutien partiel, de nombreux acteurs réclament une stratégie plus ambitieuse: modernisation des espaces de vente, infrastructures de conservation, sécurisation des routes, accompagnement institutionnel… indispensables pour revitaliser efficacement cette économie vitale.
Entre résilience et vulnérabilité
Dans le grand Nord, la plateforme des femmes organisées pour le développement de l’Artibonite (PLAFODA) essaie d’éviter certains dangers sur les routes. Louisette Vertilus, présidente de cette association a confié à l’émission Thermomètre sur radio Solidarité qu’un réseau de femmes commerçantes opèrent dans la région. «Nous vendons entre nous en fonctions des besoins sur place», a-t-elle expliqué.
Les Madan Sara incarnent un rouage essentiel de l’économie haïtienne: elles assurent la circulation des produits agricoles, stabilisent les prix, et représentent une force économique majeure. Pourtant, elles sont aujourd’hui confrontées à une double peine: crise économique et insécurité, sans contrefort institutionnel suffisant.
Bien que des initiatives existent sous la forme de microcrédit, subventions limitées, elles restent dispersées et insuffisantes face à l’ampleur des défis. Pour éviter l’effondrement de ce pilier vital, il est impératif que l’État et ses partenaires adoptent une approche intégrée et durable: sécurité, infrastructures, formalisation, accompagnement financier et logistique.
Jean Mapou