PETION-VILLE.— Longtemps perçue comme un havre de fraîcheur et de tranquillité pour les classes aisées haïtiennes, Pétion-Ville est aujourd’hui confrontée à une réalité bien différente. Sous l’effet combiné d’une urbanisation galopante, d’un exode interne amplifié par l’insécurité, et d’une absence criante de politiques publiques cohérentes, la commune ploie désormais sous les déchets, l’anarchie urbaine et une forte pression démographique.
Saturée par l’exode urbain, conséquence directe de l’insécurité généralisée dans plusieurs zones de la région métropolitaine, Pétion-Ville attire une population en quête de sécurité et d’activités économiques. Ce déplacement massif de population a transformé la commune en une zone à très forte densité, même dans des rues autrefois peu fréquentées.
«Sous le poids de cette pression démographique, la commune de Pétion-Ville risque de se perdre dans des montagnes de déchets », alerte Netty, commerçante à la rue Darguin. Elle se plaint de l’état actuel même de la place Boyer, jadis, symbole du patrimoine public, aujourd’hui utilisée comme dépotoir à ciel ouvert.
Une urbanisation hors de contrôle
Depuis le séisme de 2010, Pétion-Ville s’est imposée comme un refuge pour de nombreux sinistrés et investisseurs, précisément parce qu’elle avait été relativement épargnée. Mais cette croissance rapide s’est faite sans planification. Constructions anarchiques, congestion routière, multiplication des marchés informels dans les rues: tout témoigne d’un développement urbain hors de contrôle.
«L’afflux constant de populations rurales ou déplacées surcharge les infrastructures, aggrave la circulation et illustre une absence totale de l’autorité municipale», déplore un homme d’affaires sous couvert d’anonymat.
Une insalubrité chronique et dangereuse
La gestion des déchets est devenue un problème majeur. En l’absence de systèmes d’assainissement efficaces, les rues, trottoirs et espaces publics sont envahis de détritus. «La pollution est visible, nous vivons parmi les microbes», admet une marchande rencontrée près du marché appelé «Marché Telélé», contrainte de laisser ses déchets sur place, faute de moyens pour les évacuer.
Cette insalubrité persistante accroît les risques sanitaires: maladies infectieuses, contamination de l’eau, et détérioration généralisée de l’environnement. Les services d’hygiène publique, déjà insuffisants, voire inexistants dans la plupart des zones, sont désormais débordés.
L’ombre de l’insécurité et le spectre de la paralysie
La situation est d’autant plus tendue que Pétion-Ville, malgré son statut de « zone refuge », vit sous la menace constante d’incursions de groupes armés provenant des zones voisines. Face à cette double crise: sécurité et insalubrité, les autorités municipales semblent impuissantes, incapables de répondre aux besoins croissants de la population.
Une ville dans l’ombre de son passé prestigieux et le chaos du présent
Fondée en 1831, Pétion-Ville comptait environ 400 000 habitants en 2015 selon l’IHSI. Autrefois prisée pour son climat et sa tranquillité, elle est aujourd’hui au cœur d’un paradoxe: centre névralgique de l’économie haïtienne mais sans les fondations structurelles nécessaires à son essor.
La commune incarne crûment les contradictions d’Haïti: un moteur économique coincé entre abandon institutionnel, déficits chroniques en gouvernance et déliquescence des services de base.
Jean Mapou