Le 23 juillet 2025 ramène le 38e anniversaire du massacre de Jean-Rabel, l’un des épisodes les plus sanglants et impunis de l’histoire contemporaine d’Haïti. Ce jour-là, en 1987, au moins 139 paysans furent tués dans cette commune du Nord-Ouest, selon les chiffres officiels. Mais d’après les organisations locales, le nombre de victimes aurait dépassé le millier, pour la plupart membres du mouvement Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen, qui revendiquait une réforme agraire équitable et l’accès à la terre pour les petits agriculteurs.
L’attaque a été menée par « des groupes paramilitaires dirigés par des anciens macoutes et agissant sur les ordres présumés d’oligarques fonciers locaux, Rémy Lucas et Nickol Poitevien. Celui-ci avait revendiqué le massacre, en déclarant fièrement sur les antennes de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH), que: «Dans le camp des Américains … Nous avons tué 1042 Communistes».
Rémy Lucas, homme d’affaires influent, fut à plusieurs reprises cité comme suspect principal. Des mandats d’amener avaient été émis, mais jamais exécutés, et aucun procès n’a eu lieu. L’affaire reste à ce jour ensevelie dans l’impunité.
Des survivants toujours marqués par la peur
Pour les survivants et les proches des victimes, la blessure est encore vive. À Jean-Rabel, une cérémonie commémorative est organisée chaque année, avec une marche silencieuse, un dépôt de gerbes et des témoignages bouleversants, pour marquer la date. Les victimes ont enterré leurs morts, mais la vérité, elle, n’a jamais été déterrée, elles attendent toujours que la justice haïtienne se réveille enfin.
À l’époque, beaucoup de familles ont fui la commune après le drame, craignant de nouvelles représailles. D’autres ont été réduites au silence sous la pression des notables locaux. La peur, trente huit ans plus tard, est encore présente. Le massacre de Jean-Rabel a été un crime politique, foncier et social. Il visait à terroriser les paysans et à briser toute tentative d’organisation.
Un archétype d’impunité dans l’histoire judiciaire haïtienne
Plusieurs tentatives de relance judiciaire ont échoué. En 2007, le mandat d’arrêt contre Rémy Lucas avait été brièvement réactivé, mais sans suite. Aucun des accusés n’a été jugé, et certains jouissent encore d’une forte influence politique ou économique. Pour les organisations de défense des droits humains, ce dossier symbolise la faillite totale de l’État face à une bourgeoisie sans pitié.
Jean-Rabel, c’est le symbole d’un pays où les riches commandent et les pauvres sont éliminés quand ils réclament leurs droits. Tant que la justice ne sera pas rendue, le massacre continue symboliquement chaque jour, et la hache de guerre ne sera pas enterrée.
Trente huit ans après l’appel à la mémoire et à la justice est encore renouvelé
Comme chaque année, le mouvement paysan Tèt Kole, soutenu par d’autres organisations du secteur, a réitéré son appel à la justice et à la mémoire collective. Mais l’État haïtien est resté sourd pendant plus d’un quart de siècle.
Trente huit ans plus tard, le silence de l’État pèse lourd et résonne comme encore dans les ruines entachés de sang, victimise à nouveau les survivants et les échappés miraculeux.
Les proches des victimes craignent que le massacre de Jean-Rabel soit à jamais effacé des priorités judiciaires et politiques du pays. Pourtant, pour eux, la mémoire reste vivante et les revendications inchangées: vérité, justice, réparation.
Depuis 1987, le déni de justice a laissé libre cour à plusieurs massacres contre les plus faibles de la société. Massacre au parc Sainte Bernadette à Martissan en 2005, à Gran Ravin en 2017, à Cité Soleil, à La Saline en 2018. Et depuis, on a cessé d’en compter, car nous vivons désormais au temps du crime gratuit.
De Jean-Rabel à Petite Rivière de l’Artibonite en passant par Solino, Kenscoff ou Mirebalais le système judiciaire n’a pas encore trouvé les moyens de tracer un exemple et envoyer un signal fort pour que la justice puisse élever la nation haïtienne.
Jean Mapou


