Trois mois après son installation à la tête du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en Haïti, Fritz Alphonse Jean, est passé de l’objet d’une euphorie prudente qui accompagnait son entrée en fonction à une profonde désillusion. Annoncé comme une figure de consensus et porteur d’un projet de rupture avec l’ancienne classe politique décriée, l’ancien gouverneur de la Banque centrale peine à transformer cette transition en levier de redressement politique, sécuritaire et institutionnel.
Un leadership hésitant et sans autorité
Autrefois réputé pour sa rigueur technocratique, il semble avoir été dépassé par les dynamiques conflictuelles du Conseil. Loin de faire preuve de l’autorité nécessaire pour impulser une action collective et coordonnée, il a souvent été réduit à un rôle de modérateur passif. Les luttes internes, les ambitions personnelles et les jeux d’influence entre les différents représentants politiques siégeant au CPT ont paralysé la prise de décisions. Jean, au lieu de trancher ou de guider, s’est enlisé dans la recherche d’un consensus souvent introuvable.
Aucune avancée significative sur le plan sécuritaire
L’un des enjeux majeurs de la transition reste la crise sécuritaire. Pourtant, après trois mois, les gangs armés contrôlent toujours la majorité de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Le Conseil, sous la présidence de Jean, a échoué à définir une stratégie claire contre la criminalité organisée. La Mission multinationale de soutien à la sécurité, annoncée depuis plusieurs mois, reste suspendue à des engagements extérieurs, pendant que le CPT peine à rétablir la confiance au sein de la Police nationale d’Haïti (PNH) ou à structurer un dispositif de riposte.
Une diplomatie de transition quasi inexistante
Sur le plan international, le leadership de Jean n’a pas permis de redorer l’image d’Haïti ni de rassurer les partenaires étrangers. L’absence d’un discours diplomatique cohérent, d’une stratégie de plaidoyer claire auprès de l’OEA, de la CARICOM ou de l’ONU, ainsi que l’ambiguïté sur le calendrier de transition, ont entretenu le flou. À l’exception de quelques rencontres formelles, le CPT n’a pas profité de cette fenêtre critique pour repositionner Haïti dans le concert des nations ou pour formuler une demande d’assistance mieux encadrée.
Silence sur les réformes structurelles et absence de cap économique
Alors que la population attendait des signaux forts sur les réformes institutionnelles (justice, Constitution, gouvernance publique), le Conseil, sous la présidence de Jean, est resté muet ou flou sur ces questions. Aucun chantier de réforme n’a été lancé, aucun calendrier crédible n’a été présenté. Sur le plan économique, alors que le pays s’enfonce dans la récession, aucune vraie mesure urgente ou plan de relance n’a émergé. La communication du Conseil, par ailleurs inefficace, a renforcé l’impression d’un pouvoir lointain, sourd et incapable de rassurer.
Une présidence honorifique ou complice ?
En définitive, Fritz Alphonse Jean semble occuper une présidence essentiellement symbolique, sans réel levier d’action. Certains critiques vont plus loin en l’accusant de cautionner ou même d’organiser, pour son propre intérêt, des arrangements politiques en coulisses et la reconduction déguisée de l’ancien système. Son refus de dénoncer ouvertement les blocages ou les calculs politiciens au sein du Conseil jette un doute sur son engagement à opérer une réelle rupture.
Lors d’une intervention dans un journal de la place, le président Alphonse Jean a reconnu que durant ces trois mois à la tête du CPT, celui-ci n’a organisé que deux Conseils des ministres. Sur fond de désaccords avec ses pairs, notamment sur la question de la nomination de nouvelles personnes à des postes clés au sein de l’administration publique, le président Alphonse avoue qu’il a lui-même décidé de ne pas se réunir avec le seul organe qui est chargé de décider de l’avenir de la nation. De nombreux observateurs ont d’ailleurs qualifié de dictatorial, cette attitude de la part du Conseiller-président. Certains dénoncent même une tentative de celui-ci de faire mainmise sur des institutions clés, pour ses propres intérêts, lesquelles seraient menacés en cas de nouvelles nominations par le Conseil des ministres.
Dans cet entretien, le Conseiller-président a également reconnu que certaines de ses ordres n’avaient pas été respectés par le Ministre des Affaires Étrangères en ce qui concerne la nomination de nouvelles personnes dans la diplomatie haïtienne.
Dans un contexte de gouvernance collégiale, le Conseil des ministres devient un symbole de vitalité pour la démocratie haïtienne, et ne pas en organiser à cause de luttes d’influence pour le pouvoir s’apparente à une attitude mesquine et un mépris face aux préoccupations de la population.
Trois mois pour rien ?
À l’aube de ce mandat transitoire censé durer 18 à 24 mois, le bilan des trois premiers mois de Fritz Alphonse Jean à la tête du CPT est alarmant. Aucun progrès tangible, aucune réforme enclenchée, aucune amélioration sécuritaire ni politique. Ce début poussif met en péril la crédibilité de la transition elle-même et alimente le scepticisme d’une population déjà exaspérée. Si Fritz Alphonse Jean veut sauver ce qui peut l’être, il devra rapidement changer de posture : incarner un leadership courageux, rompre avec les calculs dilatoires, et remettre le cap sur l’intérêt général. Autrement, l’Histoire retiendra son passage comme une parenthèse inutile dans la longue agonie de la République.