Aujourd’hui, l’ouverture de l’ambassade de la Fédération de Russie à Saint-Domingue par l’expérimenté Sergey Lavrov marque un tournant important dans les relations entre la République dominicaine et la Russie.
Cet acte symbolique peut être analysé sous plusieurs prismes, notamment à la lumière de la situation géopolitique mondiale actuelle. Il soulève des questions quant au rôle que la Russie, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pourrait jouer dans la résolution de la crise haïtienne — une crise dont la République dominicaine subit directement les répercussions.
La Fédération de Russie et la République dominicaine entretiennent des relations diplomatiques depuis près de 80 ans, établies autour de 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, ces relations ont été marquées par une certaine froideur durant la Guerre froide (1947–1991), ce qui s’explique en partie par le contexte géographique et politique de la région caraïbe, fortement influencée par les États-Unis.
Aujourd’hui, les relations russo-dominicaines se caractérisent par des échanges économiques significatifs : la République dominicaine importe notamment des produits chimiques et du pétrole russes, tandis qu’elle exporte en retour des produits agroalimentaires vers la Russie. En 2021, environ 183 700 touristes russes ont visité la République dominicaine, faisant de la Russie l’un des principaux pays émetteurs de touristes vers l’île. Cependant, le conflit en Ukraine et les restrictions aériennes ont provoqué une chute de près de 90 % de ces flux touristiques — une situation que le gouvernement dominicain espère renverser, malgré un contexte géopolitique encore instable. Des efforts diplomatiques, bien que complexes, avaient été initiés par l’administration Trump pour faciliter un dialogue entre Moscou et Kiev, ce qui laisse entrevoir des perspectives positives pour la région.
Dans un monde multipolaire, marqué par la montée des puissances du BRICS+ et le déclin relatif du monde occidental, la République dominicaine adopte une diplomatie multivectorielle, lui permettant de maintenir des relations équilibrées avec les grandes puissances mondiales. Comme le rappelle un vieux principe de la Realpolitik : les États n’ont pas d’amis, seulement des intérêts.
L’inauguration de l’ambassade de Russie à Saint-Domingue, en présence du ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov, a également permis d’aborder la situation haïtienne. La République dominicaine, en tant que première victime collatérale de la crise persistante en Haïti, voit dans la Russie — membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU — un acteur potentiel pour contribuer à la recherche d’une solution internationale durable.
Enfin, en tant que nation caribéenne faisant partie intégrante de l’Amérique latine, la République dominicaine évolue dans un espace longtemps influencé par la Doctrine de Monroe (1823), qui proclamait que « l’Amérique est aux Américains ». Mais aujourd’hui, sa diplomatie active ne se limite plus à de simples représentations symboliques : elle cherche à défendre ses intérêts dans un monde où chaque État avance ses pions, et où la capacité à dialoguer avec tous les acteurs majeurs devient un atout stratégique.
Wilfrid Joseph