Le nom de Pierre Poilièvre reste méconnu de bon nombre d’haïtiens. Rares sont ceux qui savent qui il est ou quel rôle il joue dans la sphère politique canadienne. À la tête du Parti conservateur du Canada depuis peu, Poilièvre est désormais perçu comme le principal rival capable de déloger Justin Trudeau de son poste de Premier ministre à Rideau Hall. Bien que le Canada ne soit pas encore en période électorale, une élection générale pourrait être déclenchée à tout moment.
À première vue, il pourrait sembler que cette dynamique politique soit éloignée de nos préoccupations. Cependant, une analyse plus approfondie montre qu’il nous est impératif d’y accorder une attention similaire à celle que nous portons aux élections présidentielles américaines.
Alors que notre pays traverse l’une des crises les plus graves depuis l’avènement de la démocratie représentative, Haïti dépend plus que jamais du soutien de ses partenaires internationaux. Lors de sa récente intervention à la tribune des Nations Unies, le président du Conseil présidentiel de la Transition a de nouveau souligné l’importance de la coopération internationale pour sortir Haïti de l’impasse actuelle. Qu’il s’agisse de dons, de prêts ou d’investissements directs, l’aide internationale est essentielle pour rétablir la sécurité, relancer l’économie, organiser les élections et garantir la pérennité de nos institutions.
Nos principaux partenaires en matière de coopération sont, sans conteste, les États-Unis et le Canada. Ces deux pays se positionnent en tête des contributeurs financiers de la Force multinationale d’appui à la sécurité dirigée par le Kenya. En d’autres termes, c’est grâce aux financements américains et canadiens que les forces kényanes sont déployées sur le terrain et que des institutions comme la Police nationale d’Haïti (PNH) et, dans une moindre mesure, les Forces armées d’Haïti (FAD’H) reçoivent une aide pour rétablir la sécurité dans le pays.
Récemment, lors d’une récente mission aux institutions de Bretton Woods (un groupe d’organisations économiques internationales comprenant le FMI et la Banque mondiale), il a été question d’évaluer les dégâts causés par la crise sur l’économie haïtienne et ses infrastructures, tout en estimant le coût de la relance. Les États-Unis et le Canada devraient être les principaux bailleurs d’un fonds destiné à cette relance. Autrement dit, tout ou presque dépend des Américains et des Canadiens.
Cependant, un scénario inquiétant se dessine. Alors que Donald Trump, ancien président des États-Unis, est de nouveau candidat et pourrait remporter l’élection présidentielle, Pierre Poilièvrelui aussi surnommer le Donald Trump Canadien, pourrait quant à lui défaire Justin Trudeau et devenir le prochain Premier ministre conservateur du Canada. Bien qu’il serait réducteur de limiter leur politique à l’égard d’Haïti à leurs discours publics, il est difficile d’imaginer que Donald Trump, fort de son premier mandat, manifeste une réelle bienveillance à l’égard d’Haïti. Quant à Poilièvre, il reste discret sur sa vision de la politique étrangère canadienne, et encore plus sur la position que son éventuel gouvernement adopterait vis-à-vis d’Haïti, un sujet qui n’a d’ailleurs jamais été abordé. On pourrait également s’interroger sur l’attention que les autorités haïtiennes – qu’il s’agisse du Conseil Présidentiel de la Transition, de la Primature ou du ministèredes Affaires étrangères – accordent à ces questions cruciales. Mais il est légitime de se demander si un gouvernement conservateur canadien serait aussi engagé en Haïti que l’actuel gouvernement libéral.
Les États-Unis ont récemment exprimé leur volonté de transformer la Force multinationale d’appui à la sécurité en une force onusienne, faute de financements adéquats. Washington est conscient qu’il ne sera pas en mesure de soutenir cette force à long terme. Si Donald Trump accède de nouveau à la présidence, l’obtention des fonds nécessaires pourrait devenir encore plus problématique. N’oublions pas que le Congrès américain, dominé par les républicains, avait refusé d’approuver le plan de financement destiné à Haïti. Il convient de rappeler que Donald Trump est lui-même républicain, et que son retour au pouvoir pourrait annoncer des temps difficiles en matière d’aide internationale pour Haïti.
Face à ces éventualités, Haïti doit impérativement redéfinir ses priorités et renforcer sa coopération internationale, afin de faciliter la résolution de la crise actuelle et de s’en défaire définitivement. Si les financements viennent à manquer dans les mois à venir, les perspectives de sortie de crise s’évanouiraient, tout comme s’évanouissent tragiquement les vies dans les rues de Port-au-Prince.
Josué Sénat
Politologue
Le duo Trump – Poilièvre et la menace pour Haïti
