Je m’apprête à rencontrer Fabrice Rouzier ce soir pour une causerie autour de la trajectoire du Konpa. Mais en songeant à ce rythme qui, depuis soixante-dix ans, pulse comme le véritable ciment entre les frères et sœurs haïtiens, je ressens le besoin de m’incliner un instant devant l’une de ses figures les plus marquantes : Rolls Lainé, Roro pour les intimes, batteur et architecte sonore d’exception.
De la pelouse au podium : un destin d’exception
Avant de dompter les claviers et de graver son empreinte dans la mémoire musicale haïtienne, Rolls Lainé avait déjà conquis les foules sur un tout autre terrain : le football. Sous les couleurs de l’Étoile Haïtienne, il tutoya la gloire en effleurant la coupe Pradel, porté par une dizaine de buts spectaculaires. Déjà, son corps parlait un langage universel : fougue, précision, créativité. Ce même souffle allait plus tard nourrir sa musique et transfigurer le Konpa.
Le Konpa comme vocation
Du rythme intransigeant de Coupe Cloué à l’énergie volcanique de Djakout Mizik, en passant par l’élégance raffinée de Sweet Select aux côtés de Guy Montreuil, Rolls Lainé a toujours été présent là où le Konpa se réinventait. Son aventure au sein de Mizik Mizik, véritable laboratoire de modernité musicale, a scellé sa légende. Chaque collaboration, chaque arrangement, chaque note témoigne d’un homme en quête d’innovation, mais profondément enraciné dans l’âme du rythme national.
Je me souviens encore en 1994 de ce bal des bleus à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE), où la nuit refusait de s’achever. Jusqu’à six heures du matin, le temps suspendu vibrait sous les baguettes de Roro et l’ingéniosité du feu Guy Montreuil, mais qu’il était un diable ce dernier ! RIP Guy!
Une carrière de ponts et d’héritages
Rolls Lainé n’est pas seulement un musicien : il est un passeur. Il relie les générations, les espaces, les sensibilités. Dans son jeu se rejoignent la mémoire des percussions traditionnelles et les harmonies les plus modernes du Konpa. Sa trajectoire illustre ce que signifie véritablement hériter : non pas répéter, mais transformer, non pas figer, mais transmettre.
Conclusion : un devoir de reconnaissance
À l’heure où le Konpa fête ses 70 ans, il est plus que jamais urgent de célébrer ces bâtisseurs discrets qui, comme Rolls Lainé, en sont les colonnes invisibles mais indestructibles. Roro incarne la fougue, la polyvalence et la grandeur de l’esprit haïtien. Son nom doit résonner en lettres d’or aux côtés de ceux qui ont écrit et continuent d’écrire cette épopée musicale.
Rendre hommage à Rolls Lainé, c’est rappeler que le Konpa n’est pas seulement un rythme : c’est une histoire de fidélité, de passion et de renaissance permanente.
Et aussi parce que Rolls Lainé nous rappelle que derrière chaque rythme du Konpa bat le cœur d’Haïti tout entier. »
Yves Lafortune, Fort Lauderdale