La Police nationale d’Haïti (PNH) fête 30e anniversaire. À cette occasion pour le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) de dresser un bilan sombre de l’institution. Dans un rapport publié ce 12 juin 2025, l’organisme pointe les failles structurelles, la précarité des agents, le manque d’équipements et appelle à des réformes urgentes.
Créé le 12 juin 1995, la Police nationale d’Haïti (PNH) souffle ses 30 bougies dans un contexte marqué par l’insécurité généralisée, les attaques de gangs armés et une défiance grandissante envers les autorités. Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) en profite pour faire le point sur le fonctionnement de l’institution policière et les conditions de travail de ses agents. Son rapport est sévère, mais lucide.
Conditions de travail déplorables
Le RNDDH dénonce d’abord les effets directs de l’insécurité sur les policiers. Les quartiers traditionnellement habités par les forces de l’ordre comme Solino, Delmas ou Carrefour-Feuilles étant passés sous le contrôle des gangs, de nombreux agents ont été contraints de fuir leur domicile. Certains vivent désormais dans les commissariats ou chez des proches, souvent dans des conditions indignes. Le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) reste passif face à cette précarité, déplore l’organisme.
Un budget de guerre en trompe-l’œil
L’institution a, certes, bénéficié d’un budget rectificatif de près de 33 milliards de gourdes en avril dernier, qualifié de « budget de guerre » par le gouvernement. Mais, selon le RNDDH, 73 % de cette enveloppe est consacrée aux salaires et charges sociales, tandis que seulement 3 % du budget global de l’État est réellement dédié à l’investissement du matériel, des infrastructures et la formation. Une répartition jugée insuffisante face aux défis sécuritaires.
Rémunération et reconnaissance : une source de frustration
Le rapport fustige aussi l’irrégularité des paiements, l’insuffisance des salaires, et l’absence de reconnaissance du mérite. Malgré l’adoption de textes accordant des primes de risques et prévoyant un plan de carrière, ceux-ci restent inapplicables ou mal appliqués. Le moral des troupes s’effrite. « Beaucoup d’agents sentent que leur engagement n’est ni reconnu ni récompensé », note le RNDDH.
Équipements et renforcement des capacités : des efforts à saluer
Si l’institution bénéficie d’un appui international constant (notamment du Canada, des États-Unis et de la France), le RNDDH regrette que les équipements – armes, véhicules blindés, drones – soient encore largement fournis par l’étranger. Il salue néanmoins les formations continues et les nouvelles promotions de recrues qui contribuent au renforcement des capacités internes.
Des attaques et des pertes lourdes
Entre juin 2024 et juin 2025, au moins 33 policiers ont été tués, pour la plupart dans des affrontements avec des gangs. Plusieurs commissariats et infrastructures pénitentiaires ont aussi été attaqués ou détruits. Le RNDDH alerte sur les zones reprises mais non sécurisées durablement, comme Solino, où les bandits ont rapidement repris le contrôle après le départ des forces de l’ordre.
La Task Force sous critique
Si l’utilisation de drones kamikazes a permis d’infliger des pertes aux groupes armés (plus de 300 morts selon le RNDDH), l’organisme critique la coordination de ces opérations. Absente au départ, la PNH n’est toujours pas véritablement impliquée dans la gestion des drones, pilotée par la Primature. Résultat : aucune victoire durable, aucune arrestation majeure de chefs de gangs.
Une réforme structurelle urgente
Pour le RNDDH, le 30e anniversaire de la PNH doit être l’occasion d’une réforme en profondeur. Il appelle à une amélioration des conditions salariales, une reconnaissance effective du mérite, un meilleur accompagnement des blessés et des familles de policiers tués, ainsi qu’à une implication réelle de la PNH dans la coordination des opérations de sécurité.
Loin de toute célébration, ce 30e anniversaire met à nu les failles criantes d’une institution indispensable mais fragilisée. Pour le RNDDH, la PNH ne pourra jouer pleinement son rôle de garante de la sécurité publique qu’à condition de bénéficier de moyens suffisants, d’un encadrement efficace, et d’une volonté politique ferme de la réformer en profondeur.
Wideberlin Sénexant