𝑃𝑎𝑟 𝐽𝑒𝑎𝑛 𝑉𝑒𝑛𝑒𝑙 𝐶𝑎𝑠𝑠𝑒́𝑢𝑠, 𝑀𝑆𝑐
Autrefois, les dirigeants qui échouaient pouvaient espérer se recycler. L’histoire officielle, souvent écrite par les puissants eux-mêmes, leur offrait des replis confortables. On les oubliait, ou on les réhabilitait. Mais ce temps est révolu. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, le verdict de l’opinion publique est immédiat, viral, impitoyable. Plus besoin d’attendre un livre d’histoire ou un rapport officiel : la société juge, commente, archive… en direct.
C’est là tout l’intérêt — et toute la violence — de cette ère numérique. Car l’échec de ceux qui dirigent, qu’ils soient présidents, ministres ou directeurs généraux, n’est plus simplement administratif ou politique. Il devient un échec social total. L’espace public leur devient insupportable, hostile, glacial. Ils portent leur échec comme une cicatrice numérique, visible à jamais. Ils deviennent des parias, dans l’espace numérique, tout au moins.
Dans un pays comme Haïti, où les responsabilités sont rarement assumées, les réseaux sociaux jouent désormais le rôle d’archives populaires. Des tiroirs sans fond, qui conservent les fautes, les discours mensongers, les promesses trahies. Et lorsque l’impunité semble régner, le peuple numérique rouvre les dossiers. Le rappel est brutal, sans prescription, sans oubli.
On ne dirige plus sans conséquence. L’éclatement des médias, la prise de parole citoyenne, l’accès instantané à l’image et à la mémoire collective font que le pouvoir ne protège plus de la honte. Il l’expose. Le prestige ne dure plus que l’intégrité. Un ministre défaillant, un directeur corrompu, un président incompétent deviennent en quelques heures les cibles d’un bannissement social massif. Et ce bannissement n’a ni fin de mandat, ni grâce présidentielle.
Nous assistons à une mutation de la sanction. Ce ne sont plus les tribunaux qui effraient les dirigeants, mais le tribunal permanent de l’opinion, alimenté, amplifié et conservé par les réseaux sociaux. Le peuple haïtien numérique en profite bien, à défaut d’un système judiciaire utile. Une leçon pour ceux qui croient encore que le pouvoir est un privilège sans mémoire.


