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𝐃𝐚𝐧𝐢𝐞𝐥 𝐌𝐚𝐫𝐜𝐞𝐥𝐢𝐧, 𝐮𝐧 𝐂𝐨𝐧𝐬𝐞𝐫𝐯𝐚𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 𝐝𝐞 𝐛𝐨𝐧𝐭𝐞́!

Par Jean Venel Casséus

Chaque adolescent ou jeune adulte a besoin, un jour ou l’autre, de franchir une porte pour trouver son univers, pour se découvrir une respiration intérieure, pour entendre cette phrase silencieuse mais décisive : « C’est ce que je veux. » Ce n’est jamais un raisonnement. C’est un éblouissement. Une émotion pure qui s’impose, une passion neuve qui naît d’elle-même. Ce moment-là réoriente une existence. Il donne un axe, une audace, une manière d’habiter le monde.

Ma porte à moi fut celle de 𝐿𝑒 𝑃𝑒𝑡𝑖𝑡 𝐶𝑜𝑛𝑠𝑒𝑟𝑣𝑎𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒. Daniel Marcelin en était la figure tutélaire. Un maître au sens le plus noble du terme : celui qui transmet sans posséder, qui éclaire sans dominer, qui offre sans se mettre au centre. Il avait cette manière rare d’enseigner en donnant l’impression qu’il partageait quelque chose de plus large que lui-même, comme un architecte qui prépare le terrain pour des constructions qu’il ne verra peut-être pas, mais dont il sait qu’elles auront leur nécessité.

Il faut dire que l’espace de 𝐿𝑒 𝑃𝑒𝑡𝑖𝑡 𝐶𝑜𝑛𝑠𝑒𝑟𝑣𝑎𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 ne ressemblait pas à une école ordinaire. Rien n’y était décoratif. Tout avait une fonction : apprendre à penser avec précision, à sentir sans emphase, à comprendre la parole comme une matière exigeante. On y entrait pour travailler, mais aussi pour se transformer, non pas par imitation, mais par approfondissement. On apprenait à soulever une idée, à tenir un silence, à habiter un texte sans se cacher derrière lui.

Je revois encore ce samedi de 1999 où Junior Metellus m’y avait conduit. J’étais loin de mesurer ce que cela allait ouvrir. Ce qui m’a frappé n’était pas la technique, ni la discipline, bien qu’il y en eût, et de grande qualité, mais la bonté. Une bonté active, structurante, qui donnait au travail une gravité tranquille. Daniel Marcelin enseignait comme on veille sur une promesse. Il regardait chaque élève non pas comme un exécutant en devenir, mais comme un possible. Et ce regard suffisait à créer un espace où l’on ne cherchait pas à « faire le malin », mais à devenir plus précis, plus vrai, plus disponible.

La générosité de Daniel Marcelin n’était jamais affective. Elle était méthodique. Il donnait son savoir comme on confie une responsabilité. Sans excès de mots. Sans flatterie. Avec cette chaleur contenue qui naît des gens qui savent ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Une sorte de dignité silencieuse, qui rend l’apprentissage à la fois exigeant et respirable.

À 𝐿𝑒 𝑃𝑒𝑡𝑖𝑡 𝐶𝑜𝑛𝑠𝑒𝑟𝑣𝑎𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒, on ne formait pas des acteurs : on formait des esprits. Le théâtre y était traité comme une manière d’habiter le réel, de comprendre un texte, de porter une idée sans l’écraser, d’exister dans une parole sans la corrompre. Daniel Marcelin nous apprenait que l’art n’est pas une échappatoire mais un mode d’attention. Que la scène exige une honnêteté intellectuelle avant d’exiger un geste. Que la voix n’est pas un effet, mais une conséquence.

Avec le recul, je comprends que cette expérience fut fondatrice non parce qu’elle fut spectaculaire, mais parce qu’elle fut juste. Daniel Marcelin est de ces êtres qui façonnent les autres sans jamais se proclamer maître. Il agit. Il transmet. Il élève. Et il s’efface au bon moment, laissant à chacun la charge de son propre chemin.

𝐿𝑒 𝑃𝑒𝑡𝑖𝑡 𝐶𝑜𝑛𝑠𝑒𝑟𝑣𝑎𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 fut ma première architecture intérieure. La terre sainte qui m’a fait aimer le théâtre, mais surtout la radio et le journalisme culturel.

À Pacot, dans les locaux du Collège Les Normaliens réunis, la salle était modeste, mais c’était un lieu de construction d’être. C’est là que s’est élaboré quelque chose d’essentiel en moi. C’est là que s’est construit la manière d’aborder un texte, un rôle, un silence, une idée. C’est là que j’ai compris que l’art peut être une discipline de soi. Et que certaines rencontres, quand elles ont la bonté pour socle, changent plus qu’une vocation : elles changent la manière d’exister.

Merci Daniel pour cette part indispensable que tu es dans ce que je suis.

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